Midi Olympique du 28 septembre 2015
LE GRAVE ACCIDENT SURVENU DIMANCHE DERNIER A LILLE SOULÈVE UNE VAGUE D’INTERROGATIONS QUANT AUX PRÉCAUTIONS MEDICALES RÉGIES PAR LA FFR AUXQUELLES SONT SUJETTES LES JOUEUSES DE RUGBY.
UN ACCIDENT QUI POSE QUESTION
L’accident dramatique survenu à Lille il y a une semaine a soulevé une vague d’émotions considérable partout en France. À la 13° minute de la rencontre entre le LMRCV et Rennes comptant pour la première journée du Top 8 féminin, la pilier gauche de Lille, Alice Dallery, a subi une grave lésion au niveau du rachis cervical. Opérée à deux reprises la nuit suivante, cette jeune étudiante en médecine de 26 ans est sortie mercredi dernier du coma artificiel dans lequel elle avait été plongée. Le diagnostic est, pour1’heure, toujours réservé.
Evidemment ce grave accident soulève aussi un certain nombre de questions et suscite déjà l’incompréhension. Les filles ne seraient pas suivies médicalement de la même manière que les garçons. Le Top 8 féminin est en effet placé par la FFR en Catégorie A, comme le Top 14 pour les garçons. Les mêlées y sont donc jouées de manière similaire quand le règlement médical de la FFR ne prévoit aucun examen obligatoire du rachis pour les joueuses de première ligne (lire le témoignage de Gaëlle Mignot), à 1’inverse des hommes. En TOP 14 ou en Pro.D2, les joueurs ne présentant pas les garanties nécessaires lors d’un IRM de contrôle du rachis cervical ne sont clairement plus autorisés à évoluer en première 1igne. Dans le règlement médical de la FFR qui régit l’ensemble des compétitions amateurs, dont le Top 8 féminin, l’article 9.3 affirme simplement que : « Tout licencié âgé de 14 ans ou plus au 1er juillet de la saison en cours, souhaitant être autorisé à évoluer en première ligne doit justifier d’un certificat médical attestant qu’il ne présente aucune contre-indication à la pratique du rugby en compétition et aux postes de première ligne. »
RÉVEIL DES CONSCIENCES
Seule une simple préconisation pour « un examen clinique du rachis et un avis spécialisé si nécessaire » est énoncée à l’article 10.5 parmi diverses considérations : « mise à jour des vaccinations », « bilan cardiovasculaire spécialisé, après 35 ans ›› etc… Ce type d’examen déclaré indispensable chez les pros (en Top 14 comme en Pro D2.) est donc suspendu au bon vouloir du médecin consulté par les joueuses de première ligne du Top 8, sans aucun caractère obligatoire. Il apparaît donc que de nombreuses joueuses de l’élite féminine ne bénéficient pas de cette précaution médicale.
Dans l’entourage de la FFR, des joueuses et des clubs, 1’accident dramatique d’Alice Dallery semble avoir réveillé les consciences. Pourquoi et comment les filles échappent aux règles édictées chez les garçons ? Pourquoi et comment les première ligne féminines du Top 8 n’ont pas été obligées de se soumettre à 1’examen du rachis cervical alors que la réglementation vient de se renforcer chez les joueurs de Fédérale, interdisant désormais à certains joueurs classés « G2 ›› de figurer en pilier ou en talonneur. tels des « G3 ›› (lire lexique) ? Pourquoi faut-il attendre leur arrivée en équipe de France pour que les filles passent des IRM du rachis ? Évidemment, aucun examen n’empêchera les accidents aiguës traumatiques, mais aujourd’hui ces questions demeurent sans réponse. Le docteur Jean-Claude Peyrin (président de la commission médicale de la FFR), que nous avons joint vendredi dernier par téléphone, a vivement refusé de répondre à nos interrogations.
LEXIQUE
G0 > Absence de pathologie cervicale
G1 > Pathologies cervicales n’entraînant pas de contre-indication médicale.
G1 + > Pathologies entraînant une contre-indication relative (le sur-risque connu d’accident aigu doit être accepté par le joueur concerné) :
– pour les joueurs de 18 ans et + évoluant dans un groupement professionnel, les joueuses de Top 8 et les joueurs de Fédérale 1
– pour les joueuses d’Elite 2 Armelle-Auclair qui évoluaient en Top 8 la saison précédente et les joueurs de Fédérale 2
– absolue pour tous les autres joueurs et joueuses.
G2 > Pathologies entraînant une contre-índication relative (le sur-risque connu d’accident aigu doit être accepté par le joueur concerné) :
– pour les joueurs sous contrat professionnel ou pluriactif homologué par la LNR;
– pour les joueurs âgés de 18 à 22 ans qui sollicitent une licence dans un groupement professionnel, sur avis conforme du Comité Médical FFR ;
– absolue pour tous les autres joueurs et joueuses.
G3 > Pathologies entraînant une contre-indication absolue, quel que soit le niveau de compétition auquel le joueur ou la joueuse concerné(e) évolue.
GAËLLE MIGNOT – TALONNEUR ET CAPITAINE DE L’ÉQUIPE DE FRANCE FEMININE
« Je suis favorable à un examen du rachis obligatoire »
Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris la grave blessure d’Alice Dallery, joueuse de première ligne comme vous ?
Comme pour tout le rugby français, il y eut d’abord beaucoup d’émotions. Evidemment, nous pensons à Alice et nous lui souhaitons le meilleur pour l’avenir. Ensuite, on se pose quand même des questions. Les accidents, ça peut arriver, le risque zéro n’existe pas mais il doit y avoir une prise de conscience générale, aussi bien de la part des dirigeants que des joueuses. Parce que la pratique féminine a évolué. Certains clubs se sont même renforcés avec des joueuses étrangères qui sont très bien préparées physiquement. Les filles doivent prendre conscience que pour notre sécurité, il faut bien mieux se préparer avec du renforcement musculaire notamment. À titre personnel, je fais quatre ou cinq séances de musculation par semaine. D’abord, pour ma sécurité. Ensuite, pour être performante. Seulement, je connais des filles qui ne font pas ces efforts. Et là, c’est dangereux.
Avez-vous le sentiment que le rugby féminin souffre d’une absence de structuration ?
J’ai la chance d’évoluer dans un club (Montpellier.N.D.L.R.) qui est très bien structuré. Toutes les filles n’ont pas cette chance. Notre sport est toujours amateur. Nous avons toutes un emploi à côté du rugby, qui ne nous permet pas de profiter de plages de récupération. C’est un exemple parmi d’autres. J’ai vraiment le sentiment que le jeu évolue beaucoup plus vite que les structures et les règlements, ce qui rend la pratique du sport dangereuse. Je regrette quand même que l’on attende un accident comme celui d’Alice pour se poser les bonnes questions.
Êtes-vous bien encadrée sur le plan médical ?
La question se pose. À l’heure actuelle, je ne suis pas sûre que tous les clubs de Top 8 ou en Armelle-Auclair (la deuxième division féminine) bénéficient par exemple des services d’un kinésithérapeute. Aujourd’hui, beaucoup de gens se demandent si on pousse les mêlées en Top 8. Mais oui, on les pousse ! Le Top 8 est en catégorie A, ce qui signifie que nous avons les mêmes règles que les joueurs de Top 14. Seulement, nous n’avons pas les mêmes obligations médicales. C’est regrettable d’évoquer ce sujet alors qu’un drame vient d’arriver, mais il faut le dire. Ceci dit, je me garde tout jugement car je ne sais pas ce qui s’est passé à Lille ce jour-là. Peut-être Alice avait passé une IRM du rachis.
Comprenez-vous que les joueuses de première ligne du Top 8 ne soient pas obligatoirement soumises à un examen du rachis ?
Notre seule obligation est d’avoir un coup de tampon médical sur la licence nous autorisant à jouer en première ligne. Après, c’est au bon vouloir du médecin. Il n’y pas d’obligation fédérale. Je sais que certaines joueuses qui évoluent avec moi en première ligne ou dans le cinq de devant n’ont jamais passé d’IRM du rachis cervical. En revanche, c’est obligatoire pour toutes les internationales. Pour être éligibles à l’équipe de France, c’est obligatoire, quel que soit le poste. Mais, en Top 8, il n’y a pas d’obligation, c’est dommage.
Seriez-vous favorable de rendre obligatoire un examen du rachis cervical pour toutes les joueuses de première ligne évoluant en Top 8 ?
Évidemment que j’y suis favorable. Si ça peut éviter des accidents, il faut le faire.
Arnaud BEURDELEY arnaud.beurdeley@midi-olympiquefr