Article paru dans LA RÉPUBLIQUE DES PYRÉNÉES
le 28 novembre 2017
AU CHEVET DES GRANDS BLESSÉS
Depuis novembre 2011, Jean Arhancet préside la fondation Ferrasse avec toute la sensibilité d’un tétraplégique, passionné de rugby et grand serviteur de ce sport qui a doublement marqué sa vie.
Santé
« La santé, on l’apprécie quand on ne l’a plus », certifie Jean Arhancet, tétraplégique depuis un accident de mêlée survenu voici tout juste quatre décennies, le 13 novembre 1977. Retraité de la Poste, ce Souletin de 64 ans n’a pas le choix. Son quotidien est rythmé par quatre à cinq heures d’exercices de rééducation. « Si j’arrête un mois, la régression est assurée ».
Photo : Ascencion Torrent
Levé tôt, couché tard, il assume pleinement « des journées bien remplies » sous le signe du ballon ovale. Depuis décembre dernier, Jean Arhancet est membre de la Fédération française de rugby (FFR), coopté en tant que président de la Fondation Ferrasse. Trésorier de l’association Rugby Espoir Solidarité qu’il a fondée et qui est désormais basée à Souillac, il s’active également au sein du comité du Béarn.
Échanger et sensibiliser
« En marge des assurances, je m’occupe des challenges de l’offensive et du club du mois », sourit le natif d’Ainharp qui prend beaucoup de plaisir à rendre visite aux lauréats au gré des remises de récompenses. « Il me faut le contact, aller sur le terrain ».
L’occasion d’échanger et de sensibiliser. Encore et toujours. « Beaucoup de grands blessés connaissent une souffrance physique mais aussi morale. Ici dans le comité du Béarn, on a la chance d’être bien intégrés. Ailleurs, la solidarité bat son plein pendant deux, trois ans avant parfois de tomber dans l’oubli. »
Chaleureux, forçant le respect avec ses copains grands blessés, « Jeannot » raffole de la convivialité dans le rugby. « Ici, de plus en plus de clubs nous invitent aux repas d’avant match. C’est ça la plus belle des solidarités. Ça ne sert à rien de nous donner 100 € pour rester à la maison. Je préfère aller discuter avec les gens, vivre en société ».
Jean Arhancet a eu l’occasion d’en témoigner auprès d’Albert Ferrasse qui s’en est imprégné à la tête de sa fondation : « Le fait de travailler, ça vous oblige à vous raser, vous laver, bien vous habiller … Il ne faut pas s’exclure. Au contraire, il faut se fixer un but. La vie n’est pas faite que de droits, c’est souvent ce qu’on oublie. »
« On ouvre la porte »
Si le rugby l’a durement marqué dans sa chair, il l’a aussi merveilleusement chamboulé sur le plan mental. A la tête de la fondation Ferrasse, il veille sur 116 blessés à travers la France. Une belle et grande famille. « Quand l’accident arrive, on ouvre la porte, mais on ne s’impose pas, confie « Jeannot ». Après, ils viennent vers nous, des liens se tissent. »
La preuve ? « Le 19 novembre 2005, en Bourgogne, un joueur s’est gravement blessé. Il est décédé le 24 décembre qui a suivi. Son épouse qui travaillait pourtant dans le milieu médical a apprécié mon intervention et mes conseils. Avec ses parents, elle est venue me remercier ici à Lons. Depuis, on est devenus de grands amis. »
Habitué à suivre des matches à la télévision, Jean Arhancet en perd parfois son sourire bienveillant. L’évolution du rugby professionnel, qui ne manquera pas de se répercuter au niveau amateur, l’inquiète au plus au point (cf interview plus bas). « Quand j’ai vu la dernière demi-finale du Top 14, ce La Rochelle – Toulon d’une violence physique énorme, j’en étais malade. Est-ce que ça vaut le coup de sacrifier sa vie pour la gloire ? »
CHRISTIAN SEMPÉ c.sempe@pyrenees.com
En chiffres
6 grands blessés sont actuellement recensés dans le comité du Béarn : Eric Camouseigt (Navarrenx, blessé en 1997), Jérôme Hort (Lembeye, 1995),Jean-Luc Luye (Oloron, 1994 ). Jean-Claude Saldaqui (Section Paloise, 1977). Jean Arhancet (ASPTTPau, 1977). Michel Pédebiben(Jurançon, 1974).
Décoré par Bernard Lapasset
Habitué à recevoir des médailles, aussi bien de la Fédération française de rugby que de la Jeunesse et des Sports, Jean Arhancet n’oubliera jamais la remise de l’ordre national du Mérite. Le 1er avril 2015, en pleine campagne pour la candidature de Paris à l’organisation des JO 2024, l’ancien président de la FFR et de International rugby board (IRB devenu World Rugby), Bernard Lapasset est venu le décorer à Pau tout en rendant un vibrant hommage à ce Souletin d’exception qui se bat « pour le triomphe de sa vie».
« Au niveau des commotions, du souci à se « faire »
FONDATION FERRASSE : Aide financière et morale
Née le 10 novembre 1990, la Fondation-Ferrasse reste toujours aussi précieuse dans le giron ovale. Cette année, elle s’occupe de 116 grands blessés sur toute la France. Etat des lieux avec le Souletin Jean Arhancet qui a pris le relais d’Albert-Ferrasse à la présidence depuis le 11 novembre 2011.
Comment se traduit votre aide aux grands blessés du rugby ?
On leur apporte une aide financière, selon leurs besoins, pour leur faciliter le quotidien avec du matériel performant et adapté : ça va de l’aménagement de leur maison ou de leur voiture à l’achat de matériel informatique leur permettant aussi bien de discuter entre eux que de s’ouvrir aux autres. Tout ça représente un budget annuel d’environ 500 000 €, distribué sous l’égide de la Fondation de France.
On leur apporte également une aide morale et financière quand survient un décès. Il y en a eu deux depuis août : Jean-Marie Dumas (62 ans) de Bergerac et Gilles Coudrier (50 ans) de Paris.
Comment se répartit votre contribution financière ?
L’aide financière la plus importante intervient auprès des blessés d’avant 1999 pour la bonne et simple raison qu’à l’époque l’indemnisation prévue par la licence-assurance était très faible.
A partir de 2000, ça s’est beaucoup arrangé et aujourd’hui un blessé peut faire face financièrement à son handicap puisque la licence-assurance couvre à hauteur de 4,5 millions € et la complémentaire 1,5 million €.
Il faut savoir qu’avant 1988, c’était de 12195 € à 85000 € et de 1988 à 1999, on allait jusqu’à 300000 €.
Sur le plan moral, vous jouez également un rôle inestimable…
On effectue un gros travail d’écoute. Quand un blessé a un problème de santé, on le renseigne par exemple pour une opération ou un centre de rééducation.
Quelle est la tendance par rapport au nombre de grands blessés ?
Elle est heureusement à la baisse. En 2016, il n’y a eu aucun grand blessé. En 2015, un seul : Alexandre Barozzi, de Lannemezan. Moins il y en a, mieux on se porte.
Comment évoluent les types de grosses blessures ?
Jusqu’à il y a quatre, cinq ans, les blessures qui revenaient le plus souvent concernaient les premières lignes. Il y a eu de la prévention notamment avec les journées sécurité, ça a changé la donne, maintenant, elles concernent les plaquages en soleil. En attendant les futurs problèmes qui vont arriver en matière de commotions…
Ces commotions cérébrales, de plus en plus nombreuses, vous inquiètent-elles ?
Oui, énormément ! D’ailleurs, j’en avais déjà parlé lors d’une intervention au congrès 2015 de la Fédération française de rugby. Les dirigeants n’avaient pas l’air trop inquiets mais, là, le président Laporte et le docteur Hermerel commencent à s’inquiéter sérieusement.
Je ne suis pas médecin mais, je pense que les joueurs commotionnés auront de graves séquelles à 40 ou 50 ans. Vu les chocs qu’ils prennent, ils ont du souci à se faire. J’en arrive à me poser la question, est-ce qu’il ne faudrait pas changer les règles ?
Que préconisez-vous ?
Il faudrait qu’il y ait moins de contacts violents sur les rucks. Vous imaginez les impacts entre un joueur à l’arrêt et un autre lui fonce dessus en courant ! Surtout quand ils font chacun plus de 100 kilos…
Propos recueillis par CHRISTIAN SEMPÉ
UNE LICENCE, PAS TOUJOURS SIMPLE À AVOIR
Des batteries d’examens.
Médecin du sport et président de la commission médicale du comité du Béarn, Philippe Lageyre connaît le rugby sur le bout des doigts. « On ne fait plus de bilan systématique du rachis sauf pour les pros » regrette-t-il indiquant ainsi que le rugby est « sécurisé à partir de 18 ans chez les filles, 20 ans chez les hommes ». Voyons avec lui, les prérequis à l’obtention d’une licence.
Plus l’âge avance, plus les examens sont nombreux.
Moins de 18 ans femmes et moins de 20 ans hommes -> questionnaire médical à remplir, examen clinique, électrocardiogramme à partir de 12 ans, à renouveler tous les 3 ans.
20-34 ans hommes et 18-34 ans femmes -> les critères précédents + un bilan lipidique.
35-39 ans -> les critères précédents + la consultation d’un cardiologue en fonction de la réponse au questionnaire.
40-44 ans -> questionnaire spécifique à remplir une fois par an, électrocardiogramme de repos, échocardiogramme, épreuve d’effort par un cardiologue à 40 ans et 43 ans (ou dans l’intervalle si nouvelle affiliation), biologie sanguine. En plus, pour les joueurs de première ligne, IRM cervicales tous les deux ans (tous les ans si anomalie).
45-49 ans et plus de 50 ans -> on retrouve sensiblement les mêmes examens, mais à tous les postes et avec l’avis d’un médecin référent de la FFR.
Classification en fonction du rachis
Après examen du rachis cervical, les joueurs de plus de 20 ans sont répertoriés selon plusieurs catégories. « Cette classification s’applique pour toute demande d’affiliation ou de réaffiliation à la fédération », indique le docteur Lageyre. Selon le groupe dans lequel le joueur est répertorié, des examens annuels ou tous les deux ans sont exigés.
Groupe G0 -> aucune pathologie cervicale.
Groupe G1 -> pathologie cervicale n’entraînant pas de contre-indication médicale à la pratique du rugby en compétition. « Ces cas correspondent souvent à des joueurs qui ont eu des épisodes passagers de douleurs cervicales ou dans le bras. Des radios montrent s’il y a eu une fracture, si elle est consolidée », explique le docteur Lageyre.
Groupe G1+ -> pathologie cervicale entraînant une contre-indication relative. « Il faut que le surrisque connu d’accident soit accepté par le joueur. » Sont ici concernés : le Top 8 féminin et l’Elite 2 féminine, la Fédérale 1 et la Fédérale 2.
Groupe G2 -> idem que le G1+, mais pour les joueurs sous contrats pros homologués et pour les joueurs de 18-22 ans sollicitant une licence dans un groupement professionnel.
Groupe G3 -> contre-indication absolue, quel que soit le niveau des joueurs.
Commotions : le barème double chez les mineurs
En fin de saison dernière, Philippe Lageyre a réuni les clubs amateurs du comité du Béarn afin de les sensibiliser aux commotions cérébrales. Un rappel semble judicieux, celui du barème des retours à la compétition.
Première commotion -> repos physique et cognitif complet de 24 h minimum (palier 1). Travail aérobie doux (vélo, natation, marche) pour se réentraîner (palier 2), avant de passer à une séance de travail physique normale (palier 3), puis à un entraînement sans contact (palier 4), et enfin à un entraînement avec contact (palier 5). S’assurer de l’absence de tout symptôme entre chaque palier. Pas de match jusqu’à dix jours après la commotion.
En cas de deuxième commotion dans les douze mois -> même protocole, mais pas de match sous 21 jours.
En cas de troisième commotion dans l’année -> même protocole, mais pas de match sous 90 jours.
Il faut savoir que pour les mineurs, ces temps de convalescence sans compétition sont doublés.
CHRISTIAN SEMPÉ
ZOOM : Vous avez dit assurance ?
« Depuis deux ans, on est considéré comme sport à risque et les assureurs ne se bousculent pas. La GMF, qui nous est fidèle depuis 27 ans, se pose des questions », constate Jean Arhancet. « Après, il faut dire qu’on est actuellement un des sports où on est le mieux protégé pour un prix moyen de licence à 130 €. »